Mères porteuses : condamnée par la Cour européenne pour son refus, la France ne fera pas appel

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Désavoué le 21 juillet dernier par la Cour européenne des droits de l’homme dans une affaire l’opposant à des hommes ayant eu recours à des mères porteuses en Inde, l’État français a indiqué ce 20 septembre qu’il ne contestera pas l’arrêt. Le Gouvernement, loin de vraiment réagir, semble davantage satisfait de devoir se plier à une telle décision, de la responsabilité de laquelle il pourra s’exonérer, que désirer s’opposer à la pratique de la gestation pour autrui.

Au cours de cet été, la Cour européenne de Strasbourg s’était prononcée en défaveur de l’État français sur deux affaires en matière d’état civil sur fond conflit entre le Gouvernement et les opposants à la loi Taubira autorisant le mariage homosexuel et qui soulève par ricochet des questions quant à filiation.

Dans son arrêt, le juge européen condamnait l’État français pour le refus de transcrire les actes de naissance établis en Inde concernant des enfants nés à Mumbai de mères porteuses, refus pour cause d’illégalité notamment sur le fondement de l’article 16-7 du Code civil. Deux hommes, l’un en partenariat, l’autre célibataire, respectivement Philippe Bouvet et Didier Foulon avaient eu recours à la pratique de la gestation pour autrui dans une clinique en Inde, et avaient tenté d’obtenir ladite transcription des actes de naissance de leurs enfants, mais la Cour de Cassation avait choisi d’appliquer la loi. Les deux hommes avaient alors saisi la Cour européenne qui a enjoint à l’État français de faire droit à leur demande.

Précédemment, la Cour de Strasbourg avait condamné la France dans une affaire quelque peu différente, celle opposant deux couples mariés hétérosexuels à l’État français dont la justice avait refusé la transcription de l’acte de naissance de leurs enfants nés de mères porteuses aux États-Unis, qui avaient accepté de recevoir des ovocytes fécondés desdits couples. Les époux Mennesson et Labassé s’étaient alors tournés vers le magistrat européen, qui leur avait donné gain de cause le 26 juin 2014. La Cour européenne avait conclu à une violation du droit au respect de la vie privée des enfants – alors qu’ils bénéficient de l’état civil de leur pays de naissance qui emporte l’admission du lien de filiation et donc le droit de vivre avec leurs parents ainsi que le bénéfice de droits sociaux.

En résumé, les couples ayant choisi d’obtenir de manière illégale un enfant se voyaient reconnaître un droit à réclamer, au nom de l’intérêt supérieur de l’enfant, que son acte de naissance soit transcrit. Un tel arrêt ouvrait la possibilité de réclamer un droit en se prévalant de sa propre turpitude, principe nouveau opposé au droit français et celui de plusieurs États. Le jour de l’arrêt, le Gouvernement avait décidé de ne pas faire appel. Ce 20 septembre dans les affaires Foulon et Bouvier, le Gouvernement a attendu deux mois avant de prendre la même décision qu’en 2014.

L’État Français disposait de trois mois pour demander un renvoi de l’affaire, selon l’article 44 § 2 de la Convention européenne des droits de l’homme. Cet apparent manque de combativité n’est pas tant un choix de soumission à la Cour européenne qu’une manière de se défausser sur les institutions européennes.

L’État français voulait-il réellement gagner devant le juge de Strasbourg ?

Le point 46 de l’arrêt réglant l’affaire Foulon et Bouvet explique que les requérants « mettent l’accent sur le fait que les enfants soupçonnés d’être nés à l’étranger d’une gestation pour autrui sont confrontés à des obstacles concrets majeurs en raison de l’absence de reconnaissance en droit français de leur lien de filiation et se trouvent dans une situation juridique incertaine », ce que ne conteste pas l’État français en dépit de la fausseté de l’affirmation des pères.

D’ailleurs, le point 51 témoigne que la France va dans le sens de l’arrêt rendu par la Cour européenne deux ans plus tôt en affirmant que la Cour de cassation « a, le 3 juillet 2005, opéré un revirement de jurisprudence » qui lève désormais tout obstacle à la transcription de la filiation biologique. L’État français se donne ainsi tort devant la Cour européenne des droits de l’homme. Et il enfonce le clou, ainsi que le montrent le point 52 d’une part, les 53 et 54 d’autre part en affirmant respectivement que le revirement de jurisprudence ne peut concerner les affaires Foulon et Bouvet, mais que M. Bouvet peut établir le lien de filiation via la reconnaissance de paternité ou par la possession d’état (en se comportant comme le parent) ; avant d’ajouter que  » ces voies juridiques paraissent aujourd’hui envisageables compte tenu des évolutions jurisprudentielles actuelles. »

Là encore, l’État ne se défend pas vraiment, mais son argumentation juridique est ostensiblement établie sur du virtuel. Et d’ajouter, constate le juge, qu’il réfléchit à la possibilité d’une procédure de révision en matière civile afin d’apporter une solution à ce type de situation. L’argument de L’État français est qu’il n’exclut pas de se conformer au droit européen, ce qui semble être une invitation faite à lui forcer officiellement la main, ce dont ne se prive pas la Cour européenne des droits de l’homme qui s’est donnée pour mission de discriminer le bien et le mal sous couvert de droit.

Les 25 janvier 2013, le ministre de la Justice, Christiane Taubira, avait pris une circulaire invitant les officiers d’état civil à délivrer un certificat de nationalité française aux enfants nés d’un parent français à l’étranger dès lors qu’un acte d’état civil étranger établissait le lien de filiation. Le texte demandait de ne pas opposer de refus sur le fondement du seul soupçon de convention de gestation pour autrui. La circulaire, texte juridique de valeur inférieure à la loi, était alors en porte-à-faux avec le Code civil et la jurisprudence.

Henri Valid, greffier en chef de Toulouse, suspicieux quant à un acte établi en Inde dans le cadre d’une convention de gestation pour autrui, écrivit au consulat de France à Mumbai pour s’informer quant aux conditions de cet accord. Face au harcèlement de la part du père de l’enfant, l’officier de justice lui écrivit un courrier rappelant le droit français et l’intérêt supérieur de l’enfant. Tout s’enchaîna alors pour Henri Valid qui fut convoqué par le président et le procureur du tribunal d’instance de Toulouse pour se voir reprocher d’avoir manqué au devoir de réserve.

On lui demanda désagréablement de sortir du bureau ; et, sentant la menace de sanctions même si elle n’avait pas été exprimée, le greffier en chef qui craignait d’être rétrogradé ou muté loin de chez lui  62 ans, préféra faire valoir ses droits à la retraite. Le syndicat F.O. magistrat intervint en attaquant la circulaire en présentant les mêmes arguments que le greffier en chef. « La circulaire est illégale parce qu’elle demande à des fonctionnaires de justice de taire leurs soupçons et de faire comme si de rien n’était », dénonça  Emmanuel Poinas, secrétaire général du syndicat qui ajouta :

« En tant que magistrats, nous sommes chargés de mettre en œuvre la circulaire et il n’y a aucun motif de dénier notre capacité à agir. »

Depuis, le Conseil d’Etat a rejeté les recours contre la circulaire, et, surtout, l’État français a accepté sans aucunement broncher l’arrêt Mennesson de juin 2014. Tout se passe comme si le Gouvernement se réfugiait derrière les juges européens pour changer les règles d’état civil dans le cas de la gestation pour autrui et s’attendait à son évolution jurisprudentielle qui couvrirait a posteriori l’illégalité de la circulaire Taubira. Sa décision d’hier de ne pas faire appel de l’arrêt Foulon et Bouvet va dans ce sens. Officiellement, le Gouvernement qui se dit opposé à la gestation pour autrui, affirme ne pas s’opposer à l’arrêt de la Cour européenne afin de respecter l’intérêt des enfants nés par le biais de ces conventions et vivant en France.

C’est la réponse faite en novembre 2014 par le Premier ministre, Manuel Valls au député Yannick Moreau, lequel constatait la reculade du Gouvernement qui, en janvier de la même année, disait sa volonté d’inclure la procréation médicalement assistée dans le projet de loi sur le mariage pour tous. Devant l’ampleur de l’opposition à ce que la possibilité de procréation médicalement assistée fût associée au projet de loi « Mariage pour tous » fortement contesté, le Gouvernement céda. Introduire la procréation médicalement assistée dans la loi Taubira en aurait fait le pendant pour les couples féminins de ce qu’est la gestation pour autrui pour les couples homosexuels masculins : les unes recourent au don de sperme, les autres aux ovocytes et à l’utérus qu’ils n’ont pas.

Ouvrir le mariage aux couples homosexuels, c’était se poser volontairement sous la jurisprudence européenne exigeant l’égalité de traitement, et donc le droit aux couples homosexuels féminins de bénéficier de la procréation médicalement assistée comme les couples hétérosexuels, comme désirait ouvertement l’autoriser le Gouvernement en janvier 2014. Une telle démarche pouvant aboutir ensuite par ricochet au traitement identique en droit aux couples homosexuels masculins. Bien que le Gouvernement affirme s’opposer fortement à la gestation pour autrui, il lui est difficile d’ignorer que refuser de faire appel facilite la conclusion de tels marchés. La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme aura ainsi accompli ce que le Gouvernement n’osait pas faire intégrer dans le texte de la loi Taubira.

Hans-Søren Dag


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